Neutralité du Net - Main contents
[this post originally appeared in Libération]
La semaine dernière, une polémique a surgi lorsque Free a bloqué la publicité sur les services internet transitant par sa Freebox. Les fournisseurs de contenu internet qui dépendent de la publicité pour proposer du contenu gratuit aux consommateurs étaient furieux. Cette polémique illustre la complexité de l’économie de l’internet. Le fragile équilibre entre choix et facilité d’usage, entre transparence et contrôle effectif, entre commerce et intérêt public.
Mon principe de base consiste à dire que les consommateurs devraient être libres de faire de vrais choix quant à leur abonnement à l’internet et à leur activité en ligne. Les contrats standard et les paramètres par défaut des services internet peuvent être pratiques et efficaces, mais ils sont soumis à des limites d’intérêt public, que ce soit dans la législation générale sur la protection des consommateurs ou dans des règles spécifiques. Par exemple, les consommateurs ont le droit, lorsqu’ils naviguent sur un site web, de choisir s’ils souhaitent utiliser des «cookies», qui pistent leur utilisation de l’internet. Ils devraient également comprendre les coûts et les avantages de leur choix.
Du fait de la complexité et de l’évolution rapide de l’économie en ligne, de nouvelles questions surgissent constamment en ce qui concerne l’intérêt public. Par exemple, depuis 2009, la législation de l’Union européenne favorise la possibilité pour les consommateurs d’accéder à l’éventail complet des applications, du contenu et des services légaux en ligne. Selon moi, l’intérêt public ne s’oppose cependant pas à ce que les consommateurs s’abonnent à des offres internet limitées, plus différenciées, éventuellement pour un prix moins élevé.
Existe-t-il un intérêt public à ce que les parents disposent d’outils efficaces pour contrôler le matériel auquel leurs jeunes enfants peuvent accéder en ligne? La plupart des gens répondraient oui, et l’Union partage ce point de vue. De même, la plupart des gens aimeraient pouvoir choisir de recevoir ou non de la publicité parallèlement au contenu et aux services en ligne, mais tant les consommateurs que les entreprises en ligne semblent ne pas vouloir laisser ce choix entre les mains d’obscurs paramètres par défaut.
S’agissant de questions de cette nature, transparence et contrôle effectif par le consommateur feront presque toujours partie de la solution.
Cela ne signifie pas encore plus de pages dans votre contrat qui en compte déjà une centaine! La Commission encourage depuis un certain temps le secteur de la publicité à faire en sorte que les utilisateurs se voient proposer un choix clair concernant les cookies, sur la base d’informations concises et digestes. Elle collabore aussi avec une grande variété d’acteurs en ligne pour élaborer une norme «Do Not Track» («Ne pas pister»), afin que les consommateurs qui font ce choix puissent être certains qu’il sera respecté.
En ce qui concerne la neutralité de l’internet, les consommateurs doivent avoir un choix effectif quant au type d’abonnement internet qu’ils souscrivent. Cela veut dire une vraie clarté, dans un langage non technique. Doivent figurer les vitesses effectives dans des conditions normales et toute restriction imposée au trafic, ainsi qu’une option réaliste permettant de passer à un service «complet», dépourvu de telles restrictions. Un tel choix devrait également stimuler l’innovation et les investissements des fournisseurs internet. Je prépare actuellement une initiative de la Commission visant à garantir ce choix en Europe.
Des applications disponibles en ligne permettent déjà aux consommateurs de bloquer totalement ou partiellement les publicités, si bien que la distribution d’un logiciel de ce type par un fournisseur internet tel que Free n’est pas une révolution en soi. Elle nous amène néanmoins à envisager deux éléments.
D’une part, les consommateurs ne devraient pas oublier que tout choix comporte des conséquences. En optant pour le blocage des publicités ou en demandant la confidentialité («do not track»), on peut être privé de l’accès à du contenu gratuit. L’internet ne fonctionne pas par ses propres moyens. Le réseau, le contenu et l’accès à l’internet doivent tous être financés par quelqu’un. De nombreux petits opérateurs web existent grâce à des modèles publicitaires novateurs. Les consommateurs ont plusieurs façons de payer pour accéder à du contenu, notamment en voyant des publicités avant et pendant cet accès. Les entreprises devraient admettre que des consommateurs différents ont des préférences différentes, et concevoir leurs services en conséquence.
D’autre part, nous avons vu l’importance commerciale et pratique des paramètres par défaut, mais notre réaction à un paramètre par défaut donné peut dépendre à la fois des valeurs défendues et de la manière dont il se matérialise. Par exemple, vu la valeur élevée attachée à la confidentialité, nous sommes moins choqués par des paramètres par défaut restrictifs que par des paramètres totalement ouverts, en particulier en ce qui concerne les utilisateurs plus vulnérables. C’est dans cet ordre d’idées que nous collaborons avec le secteur pour améliorer la façon dont les paramètres de confidentialité par défaut peuvent protéger nos enfants. D’un autre côté, la valeur élevée que nous attachons à l’internet ouvert signifie que nous favorisons l’installation de contrôles parentaux sur tous les appareils, mais pas leur activation par défaut. En pratique, cela pourrait en effet conduire de manière involontaire à limiter l’accès à l’internet pour de nombreux utilisateurs adultes. Mieux vaut donner un vrai choix aux parents, grâce à des outils clairement visibles et conviviaux dont l’existence est bien mise en évidence.
Nous voyons la difficile interaction entre ces deux intérêts - vie privée et ouverture - lorsqu’il s’agit d’examiner si le «Do Not Track» devrait être activé par défaut dans les navigateurs web. Microsoft a choisi de le faire dans son produit Internet Explorer. Cette décision a fait l’objet de critiques de la part des concurrents et des publicitaires. Néanmoins, compte tenu des intérêts publics concurrents - ainsi que de la concurrence entre les navigateurs et de l’existence d’un outil convivial permettant le libre choix de l’utilisateur à la fois pendant et après l’installation -, je ne partage pas les critiques montrant du doigt une décision commerciale destinée à séduire les internautes qui attachent une grande importance au respect de la vie privée. La décision de Free de bloquer par défaut les publicités a suscité de plus vives inquiétudes en matière d’intérêt public parce qu’elle combinait dans le même temps une portée plus large (touchant toutes les publicités sans exception) et la perception d’une difficile réversibilité pour les utilisateurs.
Nous voyons, dans ces exemples, que des décisions prises par une entreprise à titre individuel touchent à des intérêts publics sensibles. Des acteurs privés peuvent également contribuer collectivement à l’intérêt public. L’internet est une communauté mondiale, régie par une approche associant un grand nombre d’acteurs que l’Union a défendue avec fermeté lors d’une grande conférence des Nations unies à Dubaï le mois dernier. Des initiatives d’autorégulation peuvent compléter la législation. De telles initiatives sont en cours concernant la publicité et le pistage comportementaux ainsi que la protection des enfants en ligne. Toutefois, ces efforts collectifs doivent produire des résultats clairs, susceptibles d’être mis en œuvre et soumis à un suivi et à une évaluation. Et s’ils ne répondent pas à des objectifs d’intérêt public, l’autorité publique doit toujours se réserver le droit d’intervenir.